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Les antibios administrés aux animaux sont en train de nous tuer ?

Pourtant déconseillée à dose systématique et régulière pour l’homme, la délivrance d’antibiotiques aux animaux d’élevage est encore fortement pratiquée. Une façon d’éviter la transmission de maladie entre les porcs, vaches ou poulets souvent parqués et confinés pour une rentabilité maximum. Mais cette utilisation massive entraînerait une résistance aux antibiotiques chez l’homme qui consomme cette viande et le fragiliserait face à certaines pathologies. Alors, lubie écolo ou triste réalité ? Nous avons enquêté.

Aujourd’hui, pendant que vous lirez cet article, que vous ferez vos courses au supermarché ou que vous conduirez votre enfant à l’école, 36 personnes mourront à cause d’une utilisation abusive d’antibiotiques, notamment délivrés aux animaux que vous consommez.

Le principe est simple : l’homme, lorsqu’il est atteint d’une maladie bactérienne, est soigné avec des antibiotiques. S’il s’agit d’une infection virale, les antibiotiques sont inefficaces et inadaptés. Souvenez-vous, la campagne publicitaire : les antibiotiques, c’est pas automatique !

Mais chez les animaux d’élevage, c’est une autre histoire…

La moitié des antibiotiques produits en France est donné aux animaux d’élevage

         « Environ 50% des antibiotiques sont utilisés pour les animaux d’élevage en France. Ils sont donnés en traitement de masse, par l’alimentation ou l’eau, en particulier aux volailles, cochons, lapins et veaux qui sont les plus exposés. Les chiffres sont ahurissants ! », dénonce l’ONG CIWF (Compassion in World Farming).

Le risque : l’antibiorésistance

La conséquence de ces mauvais usages : l’antibiorésistance. Un phénomène croissant dans le monde entier et très inquiétant. Car la prise d’antibiotique n’a rien d’anodin. Son action détruit les bactéries sans défense contenues dans notre organisme. Celles qui sont plus armées résistent et se multiplient pour faire face à la prochaine prise de médicament. Ainsi, à force d’utiliser à outrance ces traitements, il n’existera plus que des bactéries résistantes contres lesquelles aucun médicament ne pourra lutter. Alors de banales pathologies comme les infections urinaires, ou plus graves comme les staphylocoques dorés, deviendront mortelles.

Le ministère de la santé ajoute à ce scénario catastrophe, d’autres difficultés résultant de l’antibiorésistance : des complications de certaines maladies, une utilisation de médicaments plus puissants et plus chers pour arriver à soigner et des risques plus élevés lors d’interventions médicales, pour lesquelles les antibiotiques sont indispensables pour réduire les risques infectieux.

Les microbes ont désormais vingt ans d’avance sur la science

« Jusqu’aux années 1990, ce n’était pas inquiétant, car régulièrement de nouvelles familles d’antibiotiques étaient découvertes : nous avions toujours un temps d’avance et la possibilité de traiter les patients », explique le professeur Antoine Andremont, chef du service de bactériologie de l’hôpital Bichât, dans son livre « Antibiotiques, le naufrage ». « Mais depuis, l’industrie pharmaceutique a cessé de mettre sur le marché de nouvelles molécules, car la recherche en la matière coûte très cher et la rentabilité est mauvaise. »  Les microbes ont donc 20 ans d’avance sur la science et l’administration d’antibiotiques à tout va n’est plus à prendre à la légère.  

Un mort toutes les trente secondes d’ici 2050

De nombreux organismes internationaux, comme l’Organisation Mondiale de la Santé qui prévoit un mort toutes les 30 secondes d’ici 2050, ont donc tiré la sonnette d’alarme: « La résistance aux antibiotiques constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement. Elle peut toucher toute personne, à n’importe quel âge et dans n’importe quel pays.

En conséquence, certaines mesures ont été prises au niveau européen et national. D’abord en 2006, la commission européenne a décidé de bannir l’usage des antibiotiques dans la nourriture des animaux d’élevage pour accélérer leur croissance. Incroyable : cette pratique était jusqu’à présent systématique ! , Puis en 2012, le ministère de l’agriculture a mis en place le plan écoantibio avec pour objectif de réduire la prescription de ces molécules de 25 % sur 5 ans, en interdisant, entre autres, l’utilisation des antibiotiques dit critiques en usage préventif. Des antibiotiques qu’on appellent aussi de troisième et quatrième génération, les plus puissants et derniers survivants car encore actifs contre les bactéries. Il était donc primordial d’interdire leurs utilisations massives et régulières au risque d’anéantir l’efficacité des derniers recours dont la médecine dispose.

Lobbys : un vétérinaire accuse

Mais pour Denis Fric, vétérinaire homéopathe à la retraite, la législation actuelle ne va pas assez loin. « Pour moi, la seule solution c’est de totalement supprimer les antibiotiques de troisième et quatrième génération en médecine vétérinaire et les garder uniquement pour l’homme. Le recours aux médecines douces et naturelles comme l’homéopathie et la phytothérapie est une alternative qui fonctionne très bien. Mais cela implique, d’une part, de produire autrement , c’est-à-dire en moindre quantité, en respectant l’espace vital des animaux, leur temps de sevrage, en les laissant sortir à l’extérieur et d’autre part, que la législation européenne autorise réellement l’usage de la phytothérapie. Aujourd’hui, elle interdit l’utilisation de beaucoup de plantes au prétexte qu’on ne maîtrise pas le délai d’attente (délai nécessaire à l’évacuation du produit du corps de l’animal avant son abattage pour la consommation) alors qu’on a éprouvé celui des antibiotiques. Sauf que ces techniques étaient utilisées bien avant les élevages de masse et tout se passait très bien. Mais elles sont très peu chères et peu rentables pour certains lobbies. Je ne dis pas que les ministres et experts perçoivent des subsides des laboratoires pharmaceutiques, mais lorsqu’on touche aux dividendes et chiffre d’affaire de ces gens-là, ils voient tout rouge… »

Pour 83% des poulets élevés en France, les antibiotiques, c’est systématique

Mais en attendant une réelle volonté politique de changer les modes d’élevages français, c’est un véritable gavage de médicaments que subissent ces animaux, en plus d’une souffrance intolérable.  En juin 2018, une enquête de l’association L214 montrait les conditions d’élevage déplorables de poulets des marques maître coq et Doux. Entassés dans un hangar, sans voir la lumière du jour, ni sortir à l’extérieur, les poulets recevaient « systématiquement et préventivement des antibiotiques directement inclus dans leur alimentation » tout comme « 83 % des 800 millions de poulets tués chaque année » pour survivre aux conditions terribles d’élevage.  Même observation dans un élevage de dindes, à l’approche de noël, dans lequel elles étaient parquées au nombre de 8 par mètre carré, devenaient agressives entre elles et se blessaient tant qu’elles devaient être nourries aux antibiotiques pour survivre et contenter nos estomac. Joyeuses fêtes !

La productivité à outrance touchent aussi les élevages porcins dits familiaux qui n’en restent pas moins intensifs. « 96% des porcs ne fouleront jamais le sol extérieur et seront gardés sur caillebotis de leur naissance à leur abattage et sont donc dopés aux antibiotiques pour tenir dans ces élevages »

Chez les lapins, l’observation de la CIWF est tout aussi dramatique.  « Bugs Bunny, Roger Rabbit et Panpan sont bien loin de la réalité dans laquelle vivent les lapins élevés pour leur viande en Europe : entassés dans des cages grillagées, sales, gavés d’antibiotiques, sans jamais voir la lumière du jour ou respirer un peu d’air frais«  explique l’ONG. Et ce serait le cas de 99 % des lapins élevés en France.

Interdits, des antibiotiques sont désormais répertoriés comme…additifs

« On est loin de l’image d’Épinal de quelques coqs et poulets qui gambadent en plein air », explique Sébastien Arsac, responsable des enquêtes au sein de l’association L214. «  A cause des conditions d’élevage intensif, les animaux que nous consommons ingèrent des antibiotiques pour les aider à grossir, pour éviter de contracter des maladies à cause de leur promiscuité et aussi en additif. Depuis l’interdiction de l’utilisation des antibiotiques comme accélérateur de croissance en 2006, on a constaté aucune baisse de vente d’antibiotiques. Et pour cause, la commission européenne a déclassé certains antibiotiques pour les catégoriser en additifs sauf qu’ils demeurent des antibiotiques et les éleveurs sont autorisés à utiliser dans la nourriture pour animaux. »

«Moins de 1% des élevages sont contrôléschaque année»

Comment de telles pratiques, la plupart révélées par des associations, peuvent-elles encore exister ? Dans la théorie, il existe plusieurs organismes de contrôle. D’abord, les visites sanitaires en élevage, obligatoires et pratiquées par un vétérinaire payé par l’État. Initiées dans les élevages bovins en 2005, elles se sont étendues aux exploitations avicoles en 2013 et porcines en 2015 et ont lieu tous les deux ans.

Ensuite, les services de la DGAL (Direction Générale de l’Alimentation) « contrôlent les produits alimentaires afin de détecter la présence anormalement élevée de résidus médicamenteux. » Ils disent  effectuer près de 20 000 contrôles par an. Malgré nos demandes, la DGAL n’a pas donné suite à notre demande d’interview.

Enfin, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail ( ANSES) a mis en place, depuis 1999, un suivi annuel des ventes d’antibiotiques vétérinaires afin de suivre l’évolution des pratiques en matière d’antibiothérapie chez les différentes espèces animales.

Dans la pratique, malgré la panoplie de mesures de contrôle, le système semble cruellement manquer d’efficacité. « Il y a moins d’1 % d’élevages contrôlés chaque année. Les syndicats de vétérinaires ont déjà tiré la sonnette d’alarme car ils ne sont pas assez nombreux pour effectuer les contrôles. D’ailleurs si c’était le cas, on n’aurait pas constaté dans un élevage porcins en Bretagne, des sacs d’antibiotiques à même le sol avec des dates de validité dépassées depuis plusieurs années. Quant au contrôle des produits, on a déjà vu  que c’est très facile d’aller acheter des antibiotiques à la frontière espagnole ou belge. C’est assez déconcertant d’ailleurs et on ne peut pas chiffrer cette pratique », regrette Sébastien Arsac.


(élevage cochons Quimper)

La France consomme deux fois plus de viande que la moyenne mondiale

Par ailleurs, les bons chiffres annoncés par l’Anses faisant état d’une baisse de 36,6 %  de l’exposition aux antibiotiques en usage vétérinaire entre 2011 et 2016 (durée du premier plan écoantibio) semblent tout à fait relatifs d’après l’ICWF. « Les chiffres sont beaucoup plus variables si l’on procède espèce par espèce et en fonction des familles d’antibiotiques. De plus, si l’on compare ces chiffres à 1999, date des premiers suivis des ventes d’antibiotiques vétérinaire, on n’est qu’à 13% de baisse. Ça a baissé effectivement pour les porcs,  mais augmenté en bovin et en volaille de 19% depuis 1999. »

Face cet amer constat, quelle sont les alternatives des consommateurs ?  Avec 84 kg de viande par personne et par an en moyenne, les Français consomment plus du double de la consommation moyenne mondiale. Cette habitude alimentaire encourage et oblige  l’industrie à produire en masse et par conséquent à utiliser des antibiotiques de façon systématique et nous tuer à petit feu.

«Si votre boucher se fournit à Rungis, ce sera de la viande nourrie aux antibios»

La première alternative et la moins radicale consiste alors à se renseigner sur la provenance des produits achetés car tous les élevages ne se valent pas. Certains, raisonnés et respectueux du bien-être animal, soignent le plus possible leurs animaux avec des huiles essentielles et des médecines naturelles. Mais ces marchandises de qualité ne se retrouveront pas pour autant sur l’étal du volailler du marché ou chez le boucher de votre quartier. « Il ne faut pas se fier aux apparences, si le boucher se fournit chez Rungis, ce sera de la viande nourrie aux antibiotiques » explique Sébastien Arsac.

L’ICWF confirme : « Les traitements antibiotiques de masse concernent quasiment tous les élevages intensifs de France. Leur viande se trouve donc non seulement au supermarché, mais aussi sur les étals des boucheries. 95% des porcs en France sont élevés en intensif.  Que vous alliez au marché, au supermarché ou chez le boucher, il est donc difficile de trouver du porc élevé sans antibiotiques. Pour mettre toutes les chances de son côté, il faut privilégier le porc plein air ou élevé sur paille. »

Quels sont les labels fiables ?

Par ailleurs, certains labels semblent plus fiables que d’autres pour garantir le respect des normes et les conditions de production et d’élevage. « Les références biologiques et label rouge sont recommandables car bien encadrées avec des cahiers des charges précis et respectueux (NDLR : les élevages biologiques n’utilisent de traitements antibiotiques qu’à des fins curatives et sont limité à 3 par an). En revanche, les étiquetages « fermier » ou « bleu, blanc, cœur », par exemple, n’ont aucune légitimité, c’est de la poudre aux yeux » explique Sébastien Arsac.

Des étiquetages « sans antibios » trompeurs

Il faut aussi veiller à certains produits, comme le jambon sous vide, vendus avec l’étiquetage « porc élevés sans antibiotique » ou « animaux nourris sans antibiotique ». Une adaptation supplémentaire des industrielles aux tendances du marché, mais pas tout à fait vraie… « Il faut faire attention aux mentions trompeuses. Il y a souvent en supermarché du jambon « sans antibiotiques » et quand on regarde de plus près, en tout petit ,en bas il est indiqué « sans antibiotiques après la période de sevrage », or c’est justement avant le sevrage que les porcelets reçoivent le plus de traitements antibiotiques. »

L’OMS classe la viande rouge comme « cancérigène probable »

Autre option pour préserver sa santé : réduire ou bannir la viande de l’alimentation. Une tendance qui se développe de plus en plus. Récemment, la campagne du lundi vert, consistant à ne  consommer ni viande ni poisson un jour par semaine, et soutenue par 500 personnalités, semble rencontrer un franc succès.

Et pour cause, plusieurs études scientifiques parues ces dernières années démontrent les effets néfastes de la consommation de viande. Dès 2015, l’OMS avait officiellement classé la viande rouge parmi les cancérigènes probables chez l’humain et les viandes transformées (charcuteries, nuggets, cordon bleus…) parmi les cancérigènes certains chez l’humain. 

L’Académie américaine de Nutrition et de Diététique va encore plus loin et a établi que la consommation de produits animaux n’est nullement nécessaire. « les alimentations végétariennes bien conçues (y compris végétaliennes) sont bonnes pour la santé, adéquates sur le plan nutritionnel et peuvent être bénéfiques pour la prévention et le traitement de certaines maladies. Les alimentations végétariennes bien conçues sont appropriées à tous les âges de la vie, y compris pendant la grossesse, l’allaitement, la petite enfance, l’enfance et l’adolescence, ainsi que pour les sportifs. » La British Medical Association enfonce le clou en affirmant que les végétariens ont un plus faible taux d’obésité, de maladies cardiovasculaires et d’hypertension.

Pour aller plus loin
LES ANTIBIOTIQUES, ÇA NE DEVRAIT PAS ÊTRE AUTOMATIQUE

Alternative Vegan Media

Laurence Pieau


A Propos

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