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Vous auriez cette attitude avec l’administration, vous ne respecteriez pas la loi à ce point, vous vous exposeriez immédiatement à de sévères poursuites judiciaires.

Mais lui est un fils de famille.

Le fils de la 168ème famille la plus riche de France (1).

Celle qui détient 70% du marché de la viande.

Qui emploie 14 000 personnes, dont 12 000 en CDI.

Son business entraîne chaque année la mort de 1,3 million de bovins adultes, 400 000 veaux, 5 millions de porcs et 400 000 agneaux (2).

Une famille qui s’est crue au dessus des lois.  

En septembre 2017, Maxence Bigard, le fils de Jean-Paul Bigard, le PDG de l’entreprise qui détient Bigard, Charal et Socopa, était auditionné par la commission des affaires économiques de l’assemblée nationale.

Depuis 2013, la société Bigard refusait de communiquer ses comptes. 

Une obligation légale pourtant, qui permet d’éclairer le public sur les bénéfices d’une entreprise, son champ de responsabilités, les aides reçues, bref qui permet de « rendre des comptes » – c’est là où l’expression trouve tout son sens.

Face au questionnement des députés l’interrogeant sur ce non respect de la loi, le fils Bigard, mutique, n’a rien lâché. Zéro réponse, zéro justification.

On est dans le Parrain ou dans une commission d’audition à l’Assemblée Nationale ?

La séquence a été filmée (3), elle est juste incroyable. «  On est dans le Parrain ou on est dans une commission d’audition à l’Assemblée Nationale ? » s’est même énervé François Ruffin, député LFI de la Somme.

Chez les Bigard, l’opacité est assumée. Limite revendiquée.

C’est le cas pour les comptes de l’entreprise.

C’est aussi le cas dans ses abattoirs où l’association L214 n’a pu pénétrer qu’une seule fois, il y a dix ans.

Jean-Paul Bigard, le PDG qui fuit les micros et les caméras, est décrit par le magazine Marianne comme un « abatteur-transformateur qui dicte sa loi aux éleveurs et distributeurs » (4).

  • Il s’est prononcé contre la vidéosurveillance dans les abattoirs au motif que l’activité du secteur de la viande souffrait déjà de « bien des règles » et que la vidéosurveillance serait assimilée à une « surveillance du personnel ».  
  •  “Nous n’avons aucun intérêt à mettre en scène et à ouvrir le début d’une chaîne d’abattage”a-t-il déclaré devant la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français (la déclaration intégrale est à retrouver ici (5)).
  • Il a d’ailleurs admis que toute sa politique commerciale (le groupe Charal a dépensé 17 millions d’euros de pub en 2013) visait à couper le lien dans l’esprit des consommateurs entre les animaux et la viande (6).

Face à ce non-respect de la loi, ceux que vous élisez n’ont rien pu faire.

Fin mai 2018, l’ancien ministre de l’agriculture Stéphane Travers assurait que Bigard allait être condamné par le tribunal de commerce du Finistère si rien n’était fait. Mais rien n’a été fait. Et il ne s’est rien passé…

Une trentaine de députés ont aussi exhorté Bigard à publier ses comptes sous peine de se voir réclamer, comme l’exige là aussi la loi, une amende journalière équivalente à 2% de son chiffre d’affaire (7).

Là aussi, chou blanc…

La question est : pourquoi accepte-t-on cette opacité ?

La réponse est toute simple : parce que l’industrie de la viande est extrêmement puissante.

Bigard, c’est presque la moitié de l’industrie de la viande en France. Et le leader en Europe.

Autant dire qu’en terme d’emploi, Bigard pèse très lourd. Dans certaines régions, comme la Bretagne centre, par exemple, la quasi totalité des emplois ont plus ou moins trait à l’élevage industriel (8).

Voilà pourquoi ce ne sont ni les parlementaires ni le ministre de l’agriculture qui ont contraint le groupe mais les associations. 

L214 , l’association Lanceur d’alerte (représentée par Alexandre et Maxime Renahy, auteur de Là où est l’argent) ainsi que la journaliste Inès Léraud (autrice de Algues vertes, l’histoire interdite, ed Delcourt) et  Pierre Hinard (auteur du livre Omerta sur la viande, ed Grasset) ont poursuivi en justice le numéro 1 de la viande française.

Et de façon précipitée, Bigard a fini par publier la plupart de ses comptes de 2014 à 2017. 

Quel est l’intérêt d’avoir finalement obtenu la publication de ces comptes ?

Cela permet de savoir comment est utilisé l’argent public dont le groupe bénéficie. Notre argent. Celui des citoyens.

Une viande ultra subventionnée qu’on ne paye pas à son vrai prix.

Car cette viande qui peut faire tant de mal à notre santé (voir cet article) est ultra subventionnée : d’après le syndicat Force ouvrière, Bigard aurait perçu 32 millions d’euros d’aides de l’État en crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et en allègements sur les bas salaires pour la seule année 2014, et 26 millions d’euros en 2015.

Pourtant, le plus révoltant n’est pas que le leader du secteur ignore ainsi, des années durant, la loi, le plus révoltant n’est pas que la viande soit ultra subventionnée ou qu’elle perçoive des aides de l’Etat. 

Le plus dérangeant est cette opacité revendiquée de l’industrie de la viande.

Chez Bigard, c’est une opacité financière.

Mais chez d’autres entreprises, c’est une opacité tout court.

Qui touche souvent les circuits d’approvisionnement et de distribution, les industriels multipliant les sous-traitants et les traders pour négocier au plus bas prix les pièces de viande. Des pièces de viande issues d’animaux “désassemblés”, pour que chaque partie de la dépouille soit valorisée au maximum. 

Et cette opacité tout court conduit à des scandales alimentaires (9).

Pour rappel, en France, et rien que sur les six dernières années:

  • Février 2019:  scandale à la viande polonaise frauduleuse. 795 kilos de viandes issues d’abattage illégal de bêtes potentiellement malades sont achetées par neuf entreprises françaises qui ont été “dupées” (10). 
  • Juin 2019, le scandale des “steaks des pauvres”. Des tonnes de faux steaks hachés surgelés importés de Pologne, sans trace de viande bovine, sont vendus à des associations caritatives.
  • 2013: La retentissante affaire Spanghero et le scandale des lasagnes garnies à la viande de cheval vendues à bas prix et censées être du boeuf. 50 tonnes de VSM de mouton (Viande Séparée Mécaniquement, mélange de graisses, cartilages et os ) ont par ailleurs été importées illégalement du Royaume Uni . Elles étaient destinées à fabriquer des merguez fraîches. A noter que depuis 20 ans, la commercialisation de VSM de moutons est interdite car il y a un risque potentiel d’y retrouver des ganglions porteurs du prion, l’agent responsable de la maladie de la vache folle (11).
  • Décembre 2013: le scandale des chevaux de laboratoire. Des centaines de chevaux de labo auraient été réintroduits dans la filière alimentaire en étant vendus à une société de négoce narbonnaise.
  • Et que dire de la lisibilité proche de l’opacité de certaines étiquettes, celles de certaines merguez vendues en supermarchés notamment, dont la composition est écrite en tout petit au dos.

Une viande dans laquelle , il y a trois ans, les inspecteurs de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) avaient retrouvé du porc non étiqueté, des antioxydants non autorisés et des colorants en quantité supérieure à celle autorisée (11). 

Plumes et plastique dans les saucisses 

Selon le réseau d’alerte de la Rasff, commission européenne sur l’alimentation, il est également arrivé qu’en décortiquant des saucisses, on tombe sur des plumes, des résidus de plomb, des fragments de plastique… Fragments provenant du plastique collé au minerai de viande décongelé à l’arrache (11)… 

Charmant…


(1) Selon le classement du magazine Challenge 2019
(2) Chiffres de 2015
(3) A regarder ici
(4) https://www.marianne.net/societe/jean-paul-bigard-le-carnassier-qui-dicte-sa-loi
(5) « L’acte de mort est totalement verrouillé. Ce n’est pas un spectacle, c’est un acte difficile, même lorsqu’il est bien géré. On voit du sang, on entend du bruit, il y a une odeur. C’est plus impressionnant sur un bovin de 500 kilos que sur un poulet de 1,5 kilo. Il est possible de renforcer encore les règles, mais nous n’avons aucun intérêt à mettre en scène et à ouvrir le début d’une chaîne d’abattage. La première partie de la chaîne d’abattage, c’est-à-dire de la mort de l’animal jusqu’à son éviscération thoracique, abdominale, autrement dit la vidange de l’animal, est délicate à montrer à des gens qui ne connaissent pas. Cela constitue obligatoirement un choc » a déclaré Jean-Paul Bigard devant la commission d’enquête parlementaire.→ Compte rendu de l’audition de Jean-Paul Bigard devant la commission d’enquête de M. Falorni en 2016
(6) (évoqué par L 214, la face cachée de nos assiettes ed Robert Laffont, p 227).
(7) (La loi Sapin II, adoptée fin 2016 sous le quinquennat Hollande, prévoit une pénalité financière pouvant aller jusqu’à 2% du chiffre d’affaires moyen journalier enregistré en France par jour de retard, pour toute entreprise de transformation agricole refusant de publier ses comptes Une sanction pouvant atteindre 2 % du chiffre d’affaires quotidien grâce aux dispositions de la loi Sapin II.
(8) Cité par L214, la face cachée de nos assiettes ed Robert Laffont
(9) La société Bigard n’est impliquée dans aucun de ces scandales
(10) https://www.lepoint.fr/societe/viande-polonaise-frauduleuse-au-moins-150-kg-vendus-aux-consommateurs-en-france-01-02-2019-2290798_23.php
(11) Lire à ce sujet La merguez sur le grill, Marianne, 26 juillet au 1er août 2019)

Alternative Vegan Media

Laurence Pieau


A Propos

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  • peut importe la santé, peut importe le bien etre animal tant que ca rapporte de l’argent! Beaucoup d’hommes ont perdus leur humanité et pourtant des blogs comme le votre me ‘rassure’ et me laisse croire qu’il reste encore du bon chez les hommes

  • Bonjour..Je suis entre végétalien et végétarien.
    Je vis avec les saisons, et ce que la nature nous donne. J’ai la chance d’être en rase-campagne.
    Je ne suis pas du tout surpris par ces informations, et je vous remercie de rappeler ces faits qui relatent des incohérences qui sont passés comme une lettre à la poste dans nos données sanitaires, car nos gouvernements sont restés les bras croisés.

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